Gilles Plazy about Slavko Kopac
Slavko Kopac a dû rencontrer dans son enfance quelque dieu sur son chemin. Je l’imagine jouant dans les cailloux de l’été, à l’écart de ses compagnons – pour une rêverie sans doute – non pas exactement perdu mais égaré au moins quelque temps, ne trouvant plus le sentier, obligé de s’inventer un chemin. Et le voici qui rencontre un dieu. Ne riez pas, ce sont choses qui arrivent. Du moins aux enfants qui ont su ne pas se laisser poser des œillères. C’était un jeune dieu, trop lumineux pour qu’il pût en saisir les traits. Oui, un dieu jeune et rayonnant qui est apparu sur son chemin et l’a interpellé.
“Bonjour Slavko, je suis ici pour te faire un don. Que veux-tu?”
“Dites-moi le chemin de la maison.”
“Va devant toi au gré de ton désir et ne cherche pas la maison. Ta maison est partout là où tu la veux et quand tu la veux. Je t’offre ces semelles de vent, elles te permettront toujours d’être chez toi en un instant.”
Depuis lors Slavko ne quitte plus ses semelles de vent. Aussi, où qu’il soit est-il toujours chez lui. C’est ce qui donne à son œuvre d’artiste, au long de quatre décennies, cette tonalité familière, cette apparente spontanéité, cette fraîcheur, cette naïveté souriante, cette fantaisie optimiste, cette sensibilité poétique, cette gracieuse imagination…
Pas facile de lui mettre une épithète. – Naïf ? – Mais il n’a pas cette minutie appliquée qu’on attribue généralement aux naïfs. Primitif ? – Oui, si on fait allusion, par là, à ce mouvement premier auquel il semble toujours faire confiance mais ce mot aussi est trop porteur d’ambiguïté. Brut ? – Oui, par allusion à cet art brut dont il aura été avec son ami Dubuffet le principal initiateur en constituant cette collection fameuse, aujourd’hui à Lausanne.
L’ennui, c’est que la forme d’art dont il est ici question et que désignent plus ou moins bien les trois termes précédents est généralement le fait de personnes rustres, sauvages ou bien même en rupture de santé mentale qui cultivent secrètement leur étrange génie. Kopac, lui, n’en est pas là. Sans doute à cause de ce dieu qui lui fit jadis don de légèreté. Sans doute est-ce bien pourtant du côté de cet art étrange qu’il respire mais à sa manière -et celle-ci est d’une qualité particulière par sa façon de se tenir au bord du rêve sans s’y dissoudre.
D’ailleurs Kopac a fait un rêve, un jour, (mais était-ce bien un rêve?). Il faisait l’école buissonnière dans les collines caillouteuses et comme il avait marché sous le soleil il s’assit sur un rocher pour se reposer. Il regarda quelques instants les moutons qui, à mi-pente, tentaient de trouver quelques herbes sèches et c’est soudain qu’il vit devant lui, sans même l’avoir senti approcher, le Berger à la Barbe Verte.
Celui-ci souriait et le regardait sans rien dire. Kopac sourit aussi mais ne dit rien. Le Berger prit alors le bâton sur lequel il s’appuyait et le porta à sa bouche. C’était une flûte et il joua un air limpide, clair, aérien, lumineux. Puis il disparut comme il était venu. Une source maintenant coulait là où il s’était tenu. Kopac but de cette eau et, tout revigoré, monta plus haut dans la montagne. Comme la nuit tombait, il trouva une cabane et y passa la nuit. Les murs étaient blancs et il n’avait pas sommeil. La lune était assez claire et il couvrit les murs de dessins qu’il fit avec les charbons du foyer.
Plus tard, adulte, chaussé de ses semelles de vent, il tenta de retrouver dans la montagne cette cabane mais personne n’en avait entendu parler. Non plus que du Berger à la Barbe Verte. Mais nous, n’est-ce pas, nous savons qu’ils existent, puisque Kopač existe.
Kopac existe avec ses mains légères d’où sortent comme des bulles joyeuses des dessins, des peintures, des collages, des sculptures; chacune de ses œuvres est une apparition inattendue, l’éveil d’un être original sur la paroi d’un mur… Telle est ici la pureté de la vie même.