Michel Ragon about Slavko Kopac

J’ai rencontré pour la première fois Slavko Kopac dans ce pavillon au fond du jardin des Editions Gallimard où le Foyer de l’Art Brut s’était réfugié après son départ du sous-sol de la Galerie Drouin, place Vendôme. C’était en 1950 et Kopac qui était secrétaire de ce petit palais des merveilles populaires et naïves, réalisait lui-même des gouaches au curieux bestiaire chatoyant. Puis, une fois le Foyer de l’Art Brut dissous, Kopac disparut. Une année, Benjamin Péret nous le ramena pour une exposition à l’Etoile Scellée. Puis, visitant Jean Dubuffet à Vence, celui-ci me parla de Kopac qu’il considérait comme l’un des rares jeunes artistes remarquables.

1961, 60 x 80 cm; mixed media on canvas
Papillon-feuile, 1961

Depuis dix ans, Kopac travaille dans la solitude de son petit logement montmartrois. Mais le moment est venu, pour lui, d’affronter le public. Son œuvre existe. Elle est là, toute fraîche, inquiète, toute neuve, intimidée de sa propre audace, de son insolente singularité. Nous arrivons à l’époque où un certain nombre d’artistes “en dehors”, dont les œuvres restaient en marge parce qu’elles ne pouvaient pas s’incorporer aux courants qui retenaient l’attention, où ces artistes se mettent soudain à briller de tout l’éclat de leur exemple solitaire. C’est ainsi que nous avons vu l’œuvre de Zoltan Kemeny (de ce Kemeny qui, lui aussi, avait été lié à l’Art Brut) soudain attirer l’attention des amateurs alors que ses “reliefs” n’intéressèrent qu’un tout petit nombre d’happy few depuis que nous vîmes les premiers également aux alentours de 1950.

1950, 94,5 x 45 cm; mixed media on canvas mounted on panel
Jumelles, 1950

C’est ainsi que Asger Jorn, animateur de ce mouvement nordique COBRA que Paris ne prit guère au sérieux dans la même décade, devient une nouvelle vedette de l’Ecole de Paris. Tous les deux, et Slavko Kopac qui va les rejoindre dans cette nouvelle constellation d’artistes étranges, venaient trop tôt dans un milieu artistique qui demeure toujours enlisé dans les conformismes. D’autres conformisme de la bonne peinture artisanale abstraite n’a fait que se superposer au conformisme de la bonne peinture artisanale figurative. Kopac, lui, n’a rien à voir avec tout ça. Si on devait le classer dans un genre, ce serait parmi ces artistes qui, avec Dubuffet et Fautrier en tête, font ce que j’ai coutume d’appeler, faute de mieux: “une autre figuration”. C’est-à-dire que leurs œuvres imaginatives et parfois symboliques, ne sont pas toujours assez “lisibles” pour qu’ils puissent être classés parmi les figuratifs de stricte obédience, mais qu’elles ne sont pas non plus assez abstraites (elles ne le sont même pas du tout) pour pouvoir être rangées dans le tiroir des non-figuratifs. C’est donc bien une autre figuration qu’ils nous proposent, autre figuration que celle des apparences. La figuration des apparences est d’ailleurs sujette à caution. Les canons de l’académisme régissent notre manière de voir. C’est ainsi que la plupart de nos concitoyens s’imaginent ressembler aux Hermès de Praxitèle alors que de toute évidence ils ressemblent aux personnages de Jean Dubuffet. On en revient toujours au même problème. Les visionnaires sont en fait les vrais réalistes.

1960, height 34,5 cm; mixed media (stones, plaster, cement, bricks)
Maternité 1960

Visionnaire, Slavko Kopac l’est intensément. Il ramasse une pierre, un galet, un morceau de bois et il devine aussitôt dans ces matériaux morts la forme humaine ou animale qui s’y cache. Il la ressuscite en un tour de mains. Et c’est ainsi que nous voyons une pierre métamorphosée en sanglier, d’autres en bonshommes et en bonnes femmes, une autre en coq. Pareil pour les peintures. Dans le magma de la pâte, de merveilleux papillons viennent se fixer, en plein envol. Et aussi des oiseaux, des fleurs, toute une flore et une faune sortis de l’imagination fertile de Kopac, tout un monde fabuleux, ingénu, poétique.

Sans doute pensera-t-on parfois à Jean Dubuffet, mais l’œuvre de Kopac qui s’apparente à celle de son grand ami de Vence est néanmoins absolument différente. Elle n’est jamais sordide. Elle n’est jamais féroce. Alors que l’œuvre de Dubuffet est une véhémente protestation contre le monde, une sorte de “Voyage au bout de la nuit” picturale, celle de Kopac est ingénue, sereine, aimable. Son monde est parfois cocasse, mais il n’est jamais sinistre. C’est une œuvre joyeuse, allègre. En regardant les peintures de Kopac on pense au printemps.