“A quoi servent les définitions? Quand même, elles ne sont que la moitié de la vérité. Si vous voulez bien, c’est le travail d’un homme qui ne sait pas ce qu’il fait. Pouvez-vous imaginer qu’un homme qui passe toute sa vie dans un établissement pour déficients mentaux peut créer un chef-d’œuvre? Vous vous demandez: Comment ça se fait? C’est un instinct dont même une personne normale n’est pas consciente . Les éléments de la spontanéité et de l’ immédiateté incitent chaque homme à s’exprimer. Quels que soient les moyens déployés afin de le faire. Dubuffet a fait aussi une collection de textes des fous. C’est un langage extraordinaire. Avec l’Art Brut, nous voulons affirmer que chacun parmi nous est un peintre, un poète, un musicien potentiel et que chacun peut créer une bonne toile, de bons vers ou de bonnes notes de musique. Il faut simplement trouver le bon moment pour ça et être courageux. Pour moi, l’Art Brut est un espace vital, une excitation perpétuelle. On ne peut pas s’approcher de l’art avec les préjugés pédagogiques: comme des instincts ou des messages le sont. C’est de la pure spontanéité, de l’exubérance, de la folie, si vous voulez.”*
“Le surréalisme ne m’a jamais captivé. Moi et Breton avions des points communs, mais aussi beaucoup de différences. Je ne pouvais pas m’adapter à l’évangile surréaliste de Breton”.*
“Normalement, je n’aime pas le mot – professionnellement – la profession est quelque chose qui vous déforme. Le peintre qui est un professionnel, il est, je crois, un homme perdu. La peinture est la respiration. Vous travaillez parce que vous le devez, parce que ça vous rend heureux et, quant à l’accouchement douloureux, je ne le connais pas ”.**
“Et je vous dis, c’était une merveilleuse école et j’y pense même aujourd’hui et j’envie mes amis qui ont eu cette chance parce que, aux autres écoles, le traitement était complétement différent. Là, votre professeur serait un professeur qui vous apprendrait comment tenir votre pinceau, il vous apprendrait comment regarder et il cherchait à être enseignant. Et, quant à moi, je pense qu’il n’y a pas de place pour ce type d’enseignement. Je crois qu’un homme, c’est enfin toute cette théorie de l’Art Brut – moins il en sait, moins habile il en est, il serait plus sincère et honnête et soi-même. On peut tout apprendre. L’école, comme toutes écoles, vous entraine jusqu’à un certain point pour être un bon technicien, pour apprendre comment il faut travailler, comment mélanger les couleurs, comment il faut étaler la couleur et tout ça, mais cela ne suffit pas. Je crois que c’est mauvais ”. ***
“(Dubuffet) Parce qu’il était l’homme qui, à l’époque, était chef de la révolution, c’était lui qui a appliqué toutes ces idées, toutes ces idées anti-académiques, que la peinture ne doit pas être engagée et qu’elle ne doit pas être le résultat de certaines connaissances et réflexions lourdes. Grace à cette notre première quête de la vérité, cette collection de l’Art Brut est née, vous savez ce qui est l’Art Brut bien que vous l’appelez l’art laid, l’art sauvage. C’est un essai pour trouver des choses faites par ceux qui sont loin de tout centre culturel, qui ne savent pas ce qu’un musée est, qui ne savent pas ce qu’une exposition est et qui le font toujours de sa propre volonté et besoin. Il arrive parfois que ça dure une vie entière, de temps en temps ça dure 6 mois, mais ce sont toujours des choses si fraîches, si profondes et si parfaites artistiquement qu’on doit bien s’avouer et se dire que, seulement comme ça, l’homme peut être libre, sans attaches et éloigné de tout ce que notre civilisation nous offre avec toutes ces possibilités, où, chaque jour ils nous préparent et nous imposent des conditions comment passer notre journée. C’est le seul sain et le seul important et je crois, le seul qui a le droit d’être nommé l’art. Pour tous ces autres, je n’utiliserais pas ce terme ”. ***
“Je ne dis jamais ou je dis rarement que je suis peintre parce que je crois que ça ne signifie rien. Et quand je le dis, je dis que je peins de temps en temps, mais, en soi-même, c’est complètement mal positionné. Car un peintre est un homme qui a fini l’Académie des Beaux-Arts, en sorti avec un diplôme, c’est un homme qui a été adapté, auquel ils ont commencé à construire une petite auréole et il a cette auréole dans la rue, il la porte chez lui et partout où il se trouve. L’auréole est déjà présente et, toute la vie tourne autour de la faire briller le plus possible, de la faire plus riche, qu’elle éblouit tout le monde. En même temps, ça signifie un revenu garanti. C’est ça qui me tracasse, pour peindre, on doit avoir et créer autour de soi un cercle de gens qui le feront et qui, éventuellement, réussiront à vous rendre la vie plus facile, vous permettre de trouver ce bifteck à vous plus facilement, de le payer plus facilement et de le ramener à la maison. Et c’est pourquoi je pense que, dans ce sens-là, un artiste se trompe, c’est-à-dire, il ne se trompe pas, mais ils se met dans un état de dépendance. Il doit trouver ce cercle de gens, il doit fasciner ces gens avec ce qu’il fait ou bien permettre que ces gens le fascinent avec ses désirs et c’est là où il devient un instrument, il fait ce que celui qui est devant lui demande. Donc, dans ce sens-là, je crois qu’un artiste a perdu la première trace de sa liberté et puis, cette auréole et cette course après l’auréole, c’est ce que, dans la nature humaine que, finalement, ce ne sont pas seulement le pain et le vin ou le pain et le lait qui sont importants, c’est aussi un grand appartement, c’est le papier peint qui est important, la lumière du nord est importante. Donc, ces désirs et ces compromis augmentent de jour en jour et, à la fin, l’homme se perd et devient moins soi-même. On dirait, il devient, s’il a un peu de chance et d’intelligence, ce qu’autrefois était un peintre, c’est-à-dire, il est le document de son temps, il n’a plus rien d’autre à dire; il copie ce qu’il voit et il nous le sert ”.***
“Il devrait le souhaiter plus qu’il le fait. Certains peintres au Moyen Age et à la Renaissance avaient ses peintres qui finissaient ses œuvres et qui réparaient les peintures sur le carton. Ce sont ces techniciens et ils étaient d’excellents peintres, probablement beaucoup plus doués que nous qui sortons des académies aujourd’hui. Kodak d’aujourd’hui est celui qui dépeindra, enregistrera, pour ce qui suit. Aujourd’hui, il a tout noté, enregistré, ce moment n’a plus de sens. Un peintre aujourd’hui ne doit pas et il ne faut plus qu’il soit le peintre de cette réalité. Qu’il change de voie, devient quelque chose d’autre, qu’il chante, qu’il fasse le fou, que ça soit l’écho de son être ”.***
“C’est vrai, Picasso a dit le premier: “Ouvre les fenêtres!”. J’ajoute que ça ne suffit pas. Ouvre les fenêtres et les portes et il ne faut pas pas seulement les ouvrir, mais aussi casser les vitres parce que les fenêtres et les portes peuvent être fermées, c’est pourquoi il faut les casser ”.***
“Quand j’ai commencé, on avait à peu près 200 ou 300 documents et après 35 ans, on avait environ 5 mille dans la grande collection et le même nombre dans la collection où ces (….) de l’Art Brut sont gardé(e)s depuis qu’il existe et depuis les expositions existent, depuis qu’on écrit et depuis que nous publions nos périodiques, qui continuent d’être publiés maintenant en Suisse. Le monde a commencé à se familiariser avec ce que c’est et tout ce qui est aujourd’hui un peu en dehors des normes, tout ce qui semble avoir l’odeur de quelque chose qui est révolutionnaire, reçoit cette appellation de l’Art Brut. Donc, en fait, il existe, grâce aux critiques et aux gens qui écrivent, le danger que l’école de l’Art Brut soit créé parce qu’on a constaté, je crois que c’est la manière dont on trouve la solution pour ce moment malheureux, quand on ne sait plus où l’on va, quand on, sans tête et follement, cherche des voies nouvelles ”.***
*Mirko Galić; Deuxième lecture – Causeries, Matica Hrvatska, Zagreb 2007
**Antun Babić – La vie et l’oeuvre de Slavko Kopac, imprimée par Zebra, Vinkovci, 2005
***Entretien du 8 août 1984 pour l’émission de radio Meetings and Connaissances